Le grand orgue du Temple Saint-Éloi
Le 20 septembre 1731, pour remplacer son orgue installé vers 1661 et dont « l’antiquité et même la caducité » ne permettaient pas la réparation, la paroisse Saint-Éloi commanda aux rouennais Charles Lefebvre (1670-1737) et son fils Jean-Baptiste-Nicolas (1705-1784) un instrument de 33 jeux sur trois claviers et pédalier. Il fut augmenté en cours de construction d'un « jeu de Bombarde sur pédale », une rareté en France pour l'époque, et d'un quatrième clavier dit d'Écho. Les magnifiques buffets cintrés sont attribués à Vernisse, de Rouen, et auraient été réalisés sous la direction de Martinet, « ingénieur du Roy ».
Avant même l’achèvement des travaux, le célèbre claveciniste Jacques Du Phly se proposa pour le poste d'organiste de Saint-Éloi, assurant préférer « le dit orgue à celui [de la cathédrale] d’Evreux » dont il était titulaire, même pour des gages moindres car à Rouen il pourrait demeurer « chez ses père et mère et avoir des écoliers pour toucher l’orgue et le clavessin » ! Achevé en mai 1735, l’instrument fut reçu par Du Phly qui en resta titulaire jusqu’à son départ pour Paris en 1742.
Jean-Baptiste-Nicolas Lefebvre, qui compta parmi les plus célèbres facteurs d'orgues européens du XVIIIe siècle en édifiant les orgues géants à cinq claviers de Saint-Étienne de Caen (1746), de Saint-Martin de Tours (1761) et de la cathédrale Notre-Dame de Rouen (1763-1772), intervint de nouveau à Saint-Éloi en 1740 et en 1774 pour des remises en état et des agrandissements.
L'orgue de Saint-Eloi perdit une douzaine de jeux durant la Révolution ; il put être remis en service en 1808 par Louis Godefroy, avec qui on traita « au prix le plus doux »... Par la suite, les entretiens et réparations furent assurés par le grand facteur rouennais du moment, Guillaume Lebreton (1829-1840), par la maison parisienne Daublaine-Callinet (1842-1848), puis par les artisans locaux Leduc (1848-1858) et Blanchard (1864). Cavaillé-Coll et Merklin furent consultés pour une restauration, mais leurs prix dissuasifs reportèrent à 1883-1884 ce qui fut la seule contribution de l'époque romantique à l'instrument : l'installation d'un clavier de Récit expressif de 42 notes et 6 jeux, par la succursale rouennaise de Charles Gadault, facteur à Paris.
En 1911, on loua à Charles Mutin un petit orgue de chœur en démonstration, l'abandon de l'orgue de tribune étant envisagé. Mais considérant qu'un certain nombre de paroissiens y « renonceraient avec regret », la paroisse opta tout de même pour sa restauration ; c'est un ancien ouvrier de Cavaillé-Coll, Stanislas Garnier, qui intervint, et renouvela l'équivalent de cinq jeux. A l'issue de ces travaux, le plan sonore du pédalier de 1735, basé sur une Flûte 8 de 24 notes, était toujours en partie conservé...
Après consultation de la plupart des grandes manufactures françaises, une reconstruction totale en traction électrique fut effectuée en 1929-1931 par Victor Gonzalez, d'après un projet d'Alexandre Cellier, organiste du Temple de l’Étoile à Paris. L'orgue fut porté à 39 jeux, avec un souci maintes fois affirmé de lui conserver son caractère ancien. On peut estimer toutefois que c'est à cette époque que disparut la majorité des jeux et des mécanismes anciens rescapés. L'instrument fut restauré sans modifications en 1952 par la maison Beuchet-Debierre (Nantes), mais réinauguré seulement en 1955 en raison d'un litige au sujet de dégâts dus à la voûte.
Classé en 1954 pour le buffet et en 1974 pour la tuyauterie, l'instrument fit l'objet d'une nouvelle reconstruction totale achevée en 1979 par la manufacture lorraine Haerpfer-Erman, sur les directives des Monuments Historiques et de Norbert Dufourcq. La composition des jeux redevint à peu près celle de 1774 ; la tuyauterie toute munie de biseaux neufs prit place sur des sommiers et mécanismes entièrement renouvelés. Le tableau qui suit présente une analyse résumée de l'orgue de Saint-Eloi dans son état actuel, en regard de sa disposition d'origine au XVIIIe siècle :
Composition Lefebvre (1735-1774) | Composition actuelle (1979) | |||
1er clavier :
Positif de dos |
Bourdon 8 Prestant 4 Flute 8 (dessus) Nazard 2 2/3 Doublette 2 Quarte de Nazard 2 Tierce 1 3/5 Larigot 1 1/3 Fourniture Cimballe Cromorne 8 Voix humaine 8 Hautbois 8 (dessus) |
1735 '' 1735 / 1774 1735 '' '' '' '' '' '' '' '' 1774 |
Bourdon 8 Montre 4 Flûte à cheminée 4 Nazard 2 2/3 Doublette 2 Quarte 2 Tierce 1 3/5 Larigot 1 1/3 Fourniture III Cymbale II Cromorne 8 Voix humaine 8 - |
1735 1735 / 1979 1979 1911 / 1931 1931 1979 '' '' '' '' 1735 1931 |
2e clavier :
Grand-orgue |
Bourdon 16 Montre 8 Bourdon 8 Prestant 4 Flute 8 (dessus) Double Tierce 3 1/5 Nazard 2 2/3 Doublette 2 Quarte de Nazard 2 Tierce 1 3/5 Fourniture Cimballe Cornet 1ère Trompette 8 Clairon 4 2e Trompette 8 |
1735 '' '' '' '' '' '' '' '' '' '' '' '' '' '' 1774 |
Bourdon 16 Montre 8 Bourdon 8 Prestant 4 Flûte ouverte 4 Grosse Tierce 3 1/5 Nazard 2 2/3 Doublette 2 Quarte 2 Tierce 1 3/5 Fourniture IV Cymbale III Cornet V Trompette 8 Clairon 4 - |
1931 1735 / 1931 XXe s. / 1735 1735 / 1931 1931 1979 '' XIXe s. / 1979 1931 / 1979 1979 '' '' '' '' '' |
3e clavier : Récit (dessus) |
Cornet de Récit Trompette 8 |
1735 '' |
Cornet V Trompette 8 |
1979 1931 |
4e clavier : Écho (dessus) |
Cornet d’Écho « comprenant six jeux » |
1735 |
Cornet V Hautbois |
1979 1774 |
Pédale |
Flûte 8 Flûte 4 Nazard 2 2/3 Quarte de Nazard 2 Bombarde 16 Trompette 8 Clairon 4 |
1735 '' 1740 1774 1735 '' '' |
Flûte 8 Flûte 4 Flûte 16 Soubasse 16 Bombarde 16 Trompette 8 Clairon 4 |
1735 / XIXe s. 1979 '' 1931 XIXe s. / 1931 1931 1979 |
François Ménissier